La grande marche


mai 1915

C'est le 6 mai au soir que l'on quitte Cumières. On passe à Chattancourt, Montzéville et après avoir traversé le village, on s'engage dans une vaste forêt appelée Forêt d'Hesse, sous ce bois si garni de feuillage, où tant de fois je suis allé faire du bois pour la cuisine. Enfin, on arrive à Dombasle en Argonne qui est un patelin un peu important. C’est un centre de ravitaillement. Puis on passe à Souhesmes la petite, Souhesmes la grande, enfin on s'approche du cantonnement. La marche est dure et elle est longue, on est encore à 3 kilomètres du patelin où l'on doit aller. Il faut monter une grande côte. On la monte avec beaucoup de peine, il y a beaucoup de traînard car la fatigue commence à nous affaiblir. Quand on est au sommet de la côte, on aperçoit le clocher du village où nous allons. Enfin on arrive à Osches à 4 heures du matin. On rentre dans le cantonnement et l'on se couche tout de suite car la fatigue nous gagne et puis, le soir même, on doit de nouveau partir : c'est le 7 mai.



Le 8 mai, on part de Osches pour se rendre à Deuxnouds. Passant par Saint-André-en-Barroise, en longeant le bois, on voit de nombreuses tombes françaises et boches qui nous font rappeler la bataille de la Marne où les boches ont été obligés de reculer. Mais on arrive de bonne heure à Deuxnouds, on poursuit vers Jubécourt en passant par Saint-André en Barrois, Ippécourt, Julvécourt, Ville sur Cousances. On arrive le soir à Jubécourt. Dans ce patelin, on y reste 3 jours sans faire beaucoup de travail.
Le 13 mai, on quitte Jubécourt pour aller à Landrecourt en passant par Ville sur Cousances, Rampont, les Souhesmes, Lempires-aux-bois et l’on couche à Landrecourt la nuit du 13 au 14 mai. Le matin même du 14, on repart pour aller à Saint-André passant par Lempires, Lemmes, Souilly. On arrive à Saint André où l'on y reste 8 jours, faisant chaque jour de l'exercice, matin et soir, ou bien on allait se promener dans la forêt. Mais il nous tardait d'aller prendre un secteur tranquille.
Le 21 mai, on part de Saint-André pour aller à Triaucourt-en-Argonne en passant par Bulainville, Concicourt. Le matin du 22 mai, on arrive à Triaucourt qui est pour nous une petite ville et puis il nous semble que l'on n’est plus en guerre. Mais on ne reste pas longtemps, le lendemain matin 23 mai, on part pour aller à Sivry-Ante et l'on y reste quelques jours de repos. C'est là que j'ai commencé à avoir des poux et à les connaître.
Le 31 mai, on quitte Sivry-Ante pour nous rapprocher du front. On va à Dommartin sous Hans où l'on trouve un cantonnement si sale qui nous fait honte de nous coucher sur cette paille. Mais le lendemain, on va à un autre patelin qui se trouve à 500 mètres de celui-là qui s'appelle Courtémont. Là on y reste quelques jours tranquilles, on nous habille un peu car on en a besoin. Il y a avec nous le 24iéme colonial.

juin 1915

Le 6 juin, on monte aux tranchées pour occuper le secteur de Virginy. Ma compagnie est en réserve au moulin de Virginy, en 3iéme ligne. Là, on y reste pas mal de temps.
Mais le 10 mai, il faut un grand orage, l’eau tombe à torrent. Tellement il en tombe en 5 minutes que la tranchée a 50 centimètres d’eau. Mon escouade avait l’abri dans une petite pente, la tranchée n’allait pas plus loin et l’eau venait se rassembler à cet endroit. À un moment donné, l’eau est rentrée par une porte de l’abri et est sortie par l’autre. L’abri était changé en ruisseau et l’on avait de l’eau jusqu’aux genoux. Nous avions grand peine à mettre notre sac à l’abri. Heureusement c’était l’été, mais comme problème, ce n’était pas que l’orage. Tout d’un coup une vive fusillade et canonnade se déclenchent, car les boches avaient profité de ce temps pour attaquer. Mais on les repousse, ils sont obligés de rentrer dans leurs tranchées ; une fois que l’orage est fini, on se met au travail pour sortir l’eau de l’abri, pour que le soir on puisse se coucher tranquille.
Le 12 juin, on est relevé par le 240iéme et l’on va passer la journée du 13 juin à Courtémont et le soir même, on monte aux tranchées de premières lignes devant Ville sur Tourbes. Ma compagnie a le secteur de Pruneaux. On part de Courtémont à 8 heures du soir. On trouve la marche longue, il nous semble que jamais on arrivera aux tranchées. Quand on est à l’entrée du village de Ville sur Tourbes, on s’arrête sur la grande route qui conduit à Vouziers. Un sergent qui était allé reconnaître les tranchées, arrive et nous dit d’enlever nos bandes molletières car dans le boyau, il y a de l’eau. On prend le boyau à 200 mètres du village. Tout d’un coup, on a de l’eau jusqu'à la ceinture, et l’on est obligé de faire comme les canards. Enfin on arrive en première ligne. Celui qui a du linge sec se change. Mais on nous défend de nous coucher jusqu’au jour car cette tranchée qui avait été prise par les boches, et reprise par les coloniaux. La consigne était de faire attention car les boches sont à 10 mètres de nous, car chacun occupe un entonnoir qui avait été formé par l’explosion d’une mine. Pendant la nuit, d’un poste à l’autre, on se lance des grenades, mais le deuxième jour, ils nous envoient des torpilles de 100 kilos. C’est la première fois que l’on voyait ce genre d’engin, mais on ne s’effraie pas car elles tombent assez loin de nous. Il nous tarde d’être relevé, car à cet endroit, il n’y a pas la vie à gagner car l’on n’a pas d’abri pour se garantir des obus et des torpilles.
Le 17 juin, on est relevé par le 40iéme et l’on va passer nos jours de repos dans un petit village situé à 2 kilomètres des lignes, et le bataillon se trouve en réserve. Ce pauvre village s’appelle Berzieux où il n'y a que quelques maisons debout, mais aucun civil ne s’y promène car ils avaient été obligés de l’évacuer à cause des nombreux bombardements. Il y a encore beaucoup d’arbres fruitiers où, chaque jour, après la soupe, on va manger des prunes car c’est le seul fruit qui est mûr en cette saison.
Le 21 juin, on monte aux tranchées du secteur Est que l’on appelle le jardin. Les tranchées sont construites avec des mottes de terre, et l’on ne peut pas creuser car l’eau est à 25 centimètres du sol. Mais le secteur est tranquille, pas un coup de fusil. Il nous semble que l’on est chez soit. Je passe ma fête du 24 juin, la Saint Jean, aux tranchées.
Le 25 juin au soir, on est relevé, on va au repos à Courtémont. Nous employons nos jours de repos à nous nettoyer car il fait beau temps, mais la relève est avancée d’un jour à cause d’un poilu du 40iéme qui s’est rendu à l’ennemi. C’était pour tromper les boches sur le jour de la relève, en cas ou il aurait donné des renseignements.
Le 28 juin, on monte aux tranchées du Calvaire, nous sommes près de la route Vouziers. Les boches sont loin de nous, mais le soir pour aller au petit poste, il nous faut y aller à découvert, mais tout se passe bien.

juillet 1915

Le 2 juillet, on est relevé, on va au repos à Courtémont, consacrant toujours nos jours de repos à nous nettoyer car les poux nous le commande. Mais chaque jour, on va faire un peu d’exercices.
Le 6 juillet, on monte aux tranchées du Pruneaux. Là, ce n’est pas le filon d’y aller car on reçoit trop de "marmittes sur la gueule". On fait deux jours de première ligne, deux jours de réserve. C’est à cet endroit que je trouve un casque boche.
Le 10 juillet, on est relevé et l’on va au repos au village de Berzieux. Le soir on va faire des tranchées au Mont Miroir.
Le 14 juillet, jour de la fête nationale, à 7 heures, on nous réveille pour monter les sacs, pour être près à partir au moindre signal car les boches attaquent en masse avec du gaz à notre droite au Bois de la Gruerie. On les repousse et nous passons la journée tranquille et pour célébrer un peu la fête nationale, l’après midi, on fait des courses à pied et tant d’autres choses. Mais le soir, on va relever le 40iéme au secteur Est dit le Jardin. Là on ne se fait pas de la bile et l’on peut se promener pendant toute la journée. La nourriture n'est pas trop mauvaise.
Le 18 juillet, on est relevé et l’on va au repos à Courtémont : cette fois, on nous "en merde" à faire de l’exercice. Pour nous, il vaut mieux être aux tranchées qu’au repos.
Le 22 juillet, on va au secteur du calvaire où l’on a de bons abris, pas trop bombardés et cette fois on commence à faire des abris de bombardement.
Le 26 juillet, on est relevé par le 40iéme, on va au repos à Courtémont. On nous laisse plus tranquille que l’autre fois.
Le 30 juillet, on monte au secteur du Pruneaux. Dans le courant de la journée du 30, le génie fait sauter un camouflet, mais la charge est trop forte et il forme un entonnoir ; à peine avoir enlevé notre sac de sur le dos, un sergent vient nous chercher pour aller faire des boyaux avec des sacs de terre, pour occuper l’entonnoir. Au bout de deux jours, je vais y prendre la garde, derrière une grosse motte de terre où toutes les balles viennent s’y amortir

août 1915

Le 3 août, jour de la fête de mon village, on est relevé par le 40iéme et par la 7iéme compagnie dont la moitié des hommes sont ivres. On est obligé de passer à découvert si l’on veut partir : on va au repos à Berzieux. Cette fois on nous bombarde, ma compagnie a deux blessés.
Le 7 août, on va relever au secteur Est, cette fois on reste dans le village de Ville sur Tourbes. Pendant la nuit, on va construire des murs de pierre à côté de l’église qui est presque toute démolie et, avec des pierres, on fait un fortin. Des bruits commencent à courir que l’on va être relevé du secteur.
Voilà le 12 août, on est relevé par le 7iéme colonial et l’on va cantonner à Maffrécourt où nous voyons passer le 4iéme colonial.
Le 13 août, au soir on quitte Maffrécourt et l’on va cantonner à Braux-Saint-Rémy où l’on passe quelques jours et je remonte avec Pujol, Ceilles est campé à 200m de nous.










Page précédente sommaire Page suivante




accueil du site
saleilles.net