La montée au front


novembre 1914

Le 17 novembre, je suis appelé pour monter sur le front. On m’habille tout de neuf.
Le 18 novembre, à 3 heures du matin, le renfort quitte la caserne Chabram pour aller s’embarquer à la gare. Au bout d’une heure tout le monde est embarqué, le train se met en marche à 7 heures. Pendant le trajet, je passe à Valence, Lyon, Macon, Chaumont.
Enfin le 19 novembre, à 3 heures du soir, on arrive à Bar-le-Duc où l’on débarque. Dés que l’on est sorti de la gare, on prend les autos qui nous transportent à Villotte sur Aire. Devant Rupt Saint Michel, on passe les journées des 20 et 21 septembre où chaque matin, la terre est gelée. On commence à entendre le canon.
Le 22 novembre, on quitte Villotte pour aller à Rupt pour rejoindre le régiment qui est relevé ce soir des tranchées, devant les casernes de Chauvoncourt.
Le 23 novembre, je suis affecté à la 4iéme compagnie et à la 7iéme escouade où je rencontre de bons gas.
Le 24 novembre, on quitte Rupt. En route on passe à Pierrefitte sur Aire puis on passe la nuit à Neuville en Verdunois. Je couche sur un tas de blé pas encore battu.
Le 25 novembre, on se remet en route, il neige, la marche est pénible. Il fait froid on passe à Issoncourt, Souilly et l’on va cantonner à Osches. Dans ce petit patelin, on y passe le restant du mois de novembre où le régiment va chaque jour dans la forêt à faire des claies et à ramasser des étuis de cartouches.


décembre 1914

Le 16 décembre, on quitte Osches pour aller cantonner à Sivry-la–Perche. Passant par Vadelaincourt, Les Souhesmes, Rampont, Jouy-en-Argonne, on arrive enfin à Sivry à 3 heures de l’après-midi. Chaque jour on va faire de l’exercice.
Le 19 décembre, on quitte Sivry-la–Perche, on passe à Montzéville où l’on fait la grande halte. Il pleut, on va au sommet de la crête, la pluie commence à traverser la toile de tente. On est tout trempé et l’on entend très bien l’éclatement des obus.
Le 20 décembre, on va à Esnes-en-Argonne et l’on nous amène de l’autre coté du village, au sommet d’une crête ; mais le capitaine se " démerde " pour nous trouver un cantonnement. On est serré dans la grange, mais on passe la nuit tranquille. C’est là que j’ai trouvé Ceilles pour la première fois, et avec Pujol, on a été obligé de lui demander du pain car on serrait la ceinture.
Le 21 décembre, on quitte Esnes et l’on va occuper les tranchées de 3iéme lignes devant le village de Béthincourt, ou l’on arrive à minuit, à peine avoir quitté le sac on se met au travail de nuit dans les tranchées de 2iéme lignes pour se cacher des avions ennemis pendant le jour.




Le 22 au soir, on va renforcer le 240iéme en première ligne. Les boyaux sont remplis de boue et le 40iéme attaque à notre droite devant le Bois de Forges. À peine la nuit est venue, je vais prendre la garde pour la première fois au petit poste, avec deux de mes copains. Il fait froid et les balles sifflent. Devant nous, se trouvent des nombreux cadavres de pauvres chasseurs qui sont tombés pour la France. Il ne fait pas trop bon respirer cet air car déjà ils sentent. Heureusement que l’on est en hiver.
Le 23 décembre, ma compagnie est désignée pour aller faire une tranchée à 8 heures du soir, en avant des lignes, dans un champs de betteraves. On part chacun avec une pelle ou une pioche, et avec un sac à terre. À peine on a creusé cinquante centimètres, l’ennemi, en lançant des fusées éclairantes, nous aperçoit et une vive fusillade éclate. On se couche à plat ventre dans la petite tranchée que l’on creusait. Une fois calme, on se remet au travail, personne n’est blessé. À minuit la tranchée et fini, on se retire sans avoir aucune perte dans la compagnie. Je couche sous quelques planches qui me servent d’abri, je m’endors car c’est la fatigue qui me force à m’endormir. Quand je me réveille le matin, après quelques heures de sommeil, je suis couvert de neige, mais je n’ai pas froid, le temps est doux. C’est le 24 décembre, la nuit arrive, on fait passer l’ordre de monter le sac parce que l’on est relevé. À minuit, la relève arrive, on quitte la tranchée et l’on passe au milieu du village de Béthincourt qui est à moitié démoli. Puis on se dirige sur la grande route qui nous conduit à Cumières. Nous arrivons dans ce village le matin.
C’est le 25 décembre, fête de Noël. Je ne passe pas une bonne fête car je pense au danger que je cours chaque jour.
Le 26 décembre, on a repos. Mais le soir on va relever le 55iéme au moulin de Raffécourt secteur C. Les tranchées sont au sommet de la crête, dans le fond de la colline. On est obligé de passer dans la plaine avec de l’eau et de la boue jusqu’aux genoux, puis on grimpe la côte. On commence déjà à apercevoir des cadavres de chasseurs alpins qui sont tombés pour la France pour conquérir la tranchée que nous allons occuper. Enfin on arrive à la tranchée, on y saute dedans, mais elle n’a pas plus de 80 centimètres. À peine le 55iéme est parti, on se remet au travail avec des outils portatifs, pour approfondir la tranchée, pour que l’on ne risque plus rien des balles. On y passe 4 jours, mais il fait un sale temps, la pluie n’a pas cessé de tomber pendant tous ces jours.
Le 30 décembre au soir, on est relevé par le 55iéme et l’on va en réserve en 4iéme ligne au bois des corbeaux.

janvier 1915

On passe aux tranchées le premier jour de l’an où l’on touche de l’ordinaire une bouteille de champagne pour quatre, un cigare de deux sous pour chacun et puis des pommes.
Le 3 janvier, on va relever le 55iéme au moulin de Raffécourt, à la même place, où l’on y passe 4 jours sans que la pluie ne cesse de tomber. Pendant le séjour des tranchées, on commence à se faire un abri avec quelques planches pour se mettre à l'abri de la pluie. Mais le temps est froid, il nous tarde d'être à la nuit pour pouvoir se redresser un peu, car rester toute la journée, assis sur le sac, on a les jambes endormies : on fait un repas par jour à 8 heures du soir avec un quart de café à 5 heures le matin.
Le 7 janvier, on est relevé par le 40iéme et l'on va au repos à Chattancourt ; mauvais patelin, il est déguellasse. Pujol est évacué pour les pieds gelés, à Béthelainville. Je consacre ce repos à nettoyer mes habits qui sont remplis de boue.
Le 11 janvier, au soir on va relever le 40iéme au moulin de Raffécourt, toujours à la même place où l’on y passe les 4 jours. Le secteur commence à être potable. Il fait mauvais temps, il neige, mais cette fois, on commence à creuser un boyau. Je fais ma tâche à côté d'un obus de 155 qui n'a pas éclaté. Le terrain est mauvais à creuser, les officiers commencent à avoir un abri pour eux et nous, on est obligé de coucher sous notre toile de tente ou bien à la belle étoile.
Le 17 janvier, on est relevé par le 40iéme et l'on va au repos à Cumières où Pujol rejoint la compagnie. Nous employons ces 6 jours de repos pour nous nettoyer car on a les habits remplis de boue, la capote ne semble plus bleue. Chaque jour on va faire un peu d'exercices. Les boches bombardent le Mort-Homme et la Côte de l'Oie avec des obus de 305.
Le 23 janvier, on remonte aux tranchées au secteur C. On a un petit abri par escouade, il fait froid, mais on peut allumer un feu avec du charbon de bois que l'on touche à l'ordinaire. Il pleut : voilà ce temps-là qui dure depuis un mois.
Le 27 janvier, on est relevé et l'on va au repos à Marre. Le patelin est encore assez joli et il fait quelques jours de beau temps. On commence à trouver à acheter quelques choses pour manger.
Le 31 janvier, on va relever le secteur C, toujours à la même place. Le temps semble vouloir se mettre au beau, mais messieurs les boches commencent à nous bombarder. On travaille beaucoup pendant la nuit et le jour, on reste tranquille.

février 1915

Le 4 février, on est relevé. On se rassemble à la sortie du village de Béthincourt et l'on va de nouveau au repos à Marre en passant par Cumières. Chaque jour, on va faire un peu d'exercices.
Le 8 février, on va relever le 40iéme au secteur des Forges sur Meuse. Là, on y passe quelques jours de bon temps car on a de bonnes cabanes où l'on peut faire du feu pour avoir la soupe chaude, quand elle arrive.
Le 12 février, on est relevé et l'on va au repos à Cumières, cette fois on reste 6 jours au repos.
Le 17 février, le 40iéme attaque devant le Bois des Forges où il prend aux boches un petit bois appelé bois de la Hache et fait quelques prisonniers.



Le 18 février, au soir on va les relever.
Le 21 février, un ordre arrive : le 58iéme doit aussi attaquer le saillant de tranchée qui se trouve à gauche du bois de la Hache. À une heure de l'après-midi, le bombardement commence. À 3 heures, les sections de la 8, 9, 11 et 12iéme compagnie montent à l'assaut, mais elles ne peuvent pas atteindre la tranchée boche car le fil de fer n'est pas coupé et ils ne peuvent pas passer. Ils sont obligés de se coucher à plat ventre devant le réseau de fils de fer. Ils se mettent rapidement au travail avec des outils portatifs pour se faire des petits abris. Mais les sales boches, de leurs créneaux, les fusillent à bout portant. Pendant que ces pauvres gas montaient à l'assaut, ma compagnie faisait une vive fusillade pour faire un simulacre d'attaque. C'est le seul jour où j'ai tiré tant de cartouches depuis que je suis arrivé.
Le 24 février, on est relevé et l'on va au repos à Chattancourt : matin et soir on va faire des exercices. On préfère être aux tranchées qu'au repos.

mars 1915

Le 2 mars, on va relever au secteur A B, on se traîne presque toute la nuit dans les boyaux pour trouver notre emplacement. C'est à 3 heures du matin que l'on trouve la tranchée située en 2iéme ligne dans un ravin où les boches chaque jour nous bombardent avec des obus de 77. Mais un jour on est obligé de se sauver.
Le 8 mars, on va au repos à Cumières où le soir, on va faire des tranchées et placer des fils de fer au Mort-Homme. Le jour, on passe le temps à se nettoyer.
Le 14 mars, on va à Forges sur Meuse, et l’on est content d’y aller car on peut manger la soupe à l’ombre des pruniers.
Le 16 mars, on va aux tranchées du Moulin de Raffécourt, le secteur n’est pas très bon, mais on commence à avoir des abris. Par contre, on peut aller au village de Béthincourt en plein jour.
Le 20 mars, on va au repos, il fait beau temps.
Le 24 mars, on remonte aux tranchées du bois de la Hache qui sont des tranchées boches qui ont été prises par le 40iéme.



Le 28 mars, on va au repos à Cumières, cette fois on nous habille de neuf et l’on nous change les capotes bleues par des grises.

avril 1915

Le 1er avril, on va secteur C devant le moulin de Raffécourt : pendant ces 6 jours la pluie n'a pas cessé de tomber et l'on commence à faire deux repas par jour. Les boyaux sont finis et l’on peut aller en plein jour au village de Béthincourt où les cuistots font la cuisine.
Le 6 avril, on est relevé et l'on va au repos à Chattancourt.
Le 7 avril, on reçoit un renfort de la classe 15. Chaque nuit on va faire des tranchées au Mort-Homme, tout le long de la route qui va de Cumières à Béthincourt.
Le 12 avril, on va relever au moulin de Raffécourt ; pendant ce séjour, il a fait beau temps. Le secteur commence à devenir mauvais ; les boches nous bombardent avec des obus de gros calibres, le commandant est obligé de se sauver de son abri. Il vient se mettre à l'abri dans notre petit poste souterrain avec le capitaine de la 3iéme compagnie.
Le 18 avril, on est relevé. Ce soir-là on passe par le moulin de Raffécourt pour raccourcir le chemin. Mais à peine on est à mi-côte du Mort-Homme, une fausse attaque se déclenche, les balles sifflent. Mais, au bout d'une demi-heure, le calme se remet. On rentre tranquillement dans le village de Cumières où l'on doit cantonner. Mais on nous met en cantonnement d'alerte et défense de démonter le sac. Chaque jour on va faire de l'exercice, mais cela ne nous fait rien car il fait beau temps.
Le 24 avril, on va relever pour la seconde fois au village de Forges. C’est un bon secteur qui nous donne l’impression d’être de repos. Déjà le bruit court que l'on va être relevé de ce secteur.



Le 30 avril, on est relevé par le 40iéme et l'on va à Cumières. Après quelques jours de repos, on nous dit que l'on est relevé par le 164iéme.











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