La crue du 26-27 Septembre 1992

Le Réart est une rivière capricieuse aux crues imprévisibles mais qui arrivent au même rythme que sur les autres fleuves. Lors des pluies normales de printemps ou d'automne, le débit du Réart peut monter jusqu'à environ 200 à 300 m3/s. Les dimensions de son lit ont été calculées pour absorber 500 m3/s. Toutes les décennies il y a des crues qui avoisinent ce chiffre. Son dépassement ou la faiblesse des digues par le manque d'entretien, provoque des débordements. Une urbanisation croissante, une spécialisation de l'agriculture sans oublier une déforestation importante introduisent de nouveaux agents de ruissellement. L'eau arrive de plus en plus vite à la rivière et les limites sont de plus en plus souvent atteintes. Mais il y a aussi le cycle des 100 ans appelé "crue du siècle". Comme nous l'avons vu, le 7 janvier 1889 le Réart a débordé depuis la route nationale d'Elne à Perpignan, jusqu'à l'étang de Saint Nazaire. le village de Saleilles est sous 1 m d'eau et a dû être évacué par les habitants. Dans les récits de l'époque jamais, de mémoire d'homme, d'après les vieux du village, l'on n'avait vu une pareille inondation. 103 ans plus tard, le 26 septembre 1992 au soir, la crue du siècle, voire millénaire, dévaste la commune, et de la même façon, les vieux du village n'avaient jamais vu une pareille inondation de mémoire d'homme. Comme j'ai été témoin et sinistré de cet événement séculaire, je vais le raconter avec un peu plus de détail.

Les prévisions météorologiques pour les journées du 25 au 27 septembre sont très pessimistes. Une forte dépression centrée sur le nord-ouest de l'Espagne se déplace rapidement sur le nord-est du Portugal. Elle entraîne une orientation des vents au sud-est sur notre région, faisant entrer une masse d'air chaud, instable et très humide dans les basses couches. Par les forts vents d'est, cette masse d'air, forcée à s'élever sur les versants orientaux des Pyrénées Orientales, développe encore plus l'instabilité orageuse due à la rencontre de l'air chaud méditerranéen et de l'air froid d'altitude.

Les pluies débutent vers 16 heures sur les reliefs dans tout le bassin versant du Réart et de la Canterrane avec une intensité de 50 mm d'eau en demi heure jusqu’à 275 mm en 12 heures. L'eau glisse sur le schiste du paléozoïque des Aspres, et au contact des argiles du pliocène, le débit est impressionnant. Les affluents viennent tour à tour renforcer la vigueur de ce bélier limoneux à Pollestres où il recevra le renfort de la Canterrane. Vers 19 heures, alors que la pluie s'arrête sur les reliefs, il se met à pleuvoir très fort dans la plaine. C'est le cumul de l'eau qui tombe avec l'eau tombée 3 heures avant sur les reliefs et qui arrive dans la plaine qui va former après Pollestres, au confluent des deux rivières, un débit de 1150 m3/s. C'est une vague de 6 mètres de hauteur qui se présente à minuit au niveau du pont de chemin de fer et de la nationale 114 (limnimétrie du 26-27/9/92 ). D'après des témoins, la crête de la vague recouvrira de plusieurs mètres les ponts pendant quelques minutes. Les cinq arches du pont de chemin de fer ne peuvent laisser passer que 950 m3/s. Une masse d'eau de 200 m3/s part le long de la nationale qu'elle traverse et dévie sur Théza. Le pont routier de la nationale 114 qui à l'origine a le même profil que le pont de chemin de fer, a été amputé d'une arche et demie pour faire passer la route de la déviation de Saleilles. Non seulement la digue de la rive gauche avait été enlevée pour le passage de cette voie crée en 1982, mais de plus le Réart fait une courbe vers la droite à cet endroit. La vague ne peut donc faire autrement que d'aller tout droit, la route servant de tremplin pour envahir les terres (carte de l'inondation). Le lit du Réart n'ayant qu'un calibrage de 500 m3/s, les 450 m3/s supplémentaires suivront le parcours de la vague. Il est de notoriété publique que les travaux de la déviation furent à l'origine de l'ampleur des dégâts dans la commune de Saleilles, la route ayant servi de passage au travers de la digue.

Mais l'inondation du village à deux causes bien distinctes. En effet, la commune à une ligne de crête et donc deux bassins versants qui correspondent aux deux lits du Réart du moyen âge. Les eaux des terrains du nord, allant du mas Courret au terrain de sport, ne peuvent se mélanger aux eaux du sud, de la zone artisanales à la route d'Alénya. La ligne de partage se situe du château d'eau, route d'Alénya, passe en ligne droite par la chapelle, puis par la cave coopérative et suit la route de Villeneuve de la Raho, côté Réart. La vague est donc partie dans son ancien lit du nord, balayant le mas Canals, les Llambines, la rue des pétunias et la rue des vignes pour finir sur les terrains de sports. La vague est passée à minuit et demi, heure où tout le monde était chez soi. Si cela s'était passé dans la journée, il y aurait pu avoir des victimes. Après le passage de la vague, il a fallu écouler l'eau du Réart ainsi que tout le volume répandu sur les terres en amont du pont de chemin de fer (inondations de Pollestres, Trouillas, Villemolaque, Terrats, etc....).Dans les rues les plus touchées (rue des pétunias et rue des vignes) l'eau s'est stabilisée à 1,50 m et le courant a emporté les voitures. La majeure partie des maisons sans étage a été dévastée. Les gens ont passé la nuit sur les toits, dans les greniers, sur le rebord de fenêtre ou sur les murs de clôture. La décrue est amorcée à partir de 4 heures du matin. A 6 heures, l'eau était partie laissant derrière elle plusieurs centimètres de boue et la désolation.

La seconde cause concerne la partie sud du village. Le lit du Réart, construit par les Templiers, ne peut absorber que 500 m3/s. Au début du siècle, les Ponts et Chaussées ont remplacé le passage à gué et la passerelle de la route d'Alénya par un pont métallique qui repose sur deux rampes. L'espace libre sous le pont est inférieur au lit du Réart. C'est pour cela qu'à chaque fois que le Réart dépasse 450 m3/s, les eaux ne peuvent plus s'écouler normalement et inondent le sud de Saleilles, notamment les anciens étangs, actuellement construits. Le 26 septembre 1992, le débit était largement dépassé, amorcé par la vague, et le sud du village (rue des Pampres, route d'Alénya) ont subi à la même heure, le même sort que Saleilles nord avec 1,50 m d'eau. Même cause, même effet sur les maisons et les voitures.

Plusieurs familles, notamment à la rue des pétunias, devront se reloger en attendant de faire les travaux de réhabilitation. 580 maisons sur les 1250 que compte saleilles ont eu les pieds dans l'eau de quelques centimètres jusqu'à 1,60 m. Une bonne année sera nécessaire pour faire disparaître les effets majeurs de cette inondation. La direction départementale de l’équipement remodèlera dans l'année sa déviation sous le pont en rendant au Réart sa cinquième arche et en reconstruisant la digue de la rive gauche. La mairie mettra en place en 2003 un automate d'alerte pour prévenir la population des risques, principalement les crues du Réart. Les habitants sont appelés sur leur téléphone par ordre de priorité pour les prévenir une éventuelle inondation.



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