L'enfer de Verdun


juin 1916


Le 15 juin : pendant le trajet en train, on passe à Château Thierry, à Epernay, où l'on fait une halte repas. On nous distribue un quart de jus de fruit, puis on passe à Chalons sur Marne, Vitry le François, Sermaize les bains, on débarque à Révigny sur Ornain à 7 heures du soir. Dans la gare, on commence à voir de nombreux canons démolis. On quitte la gare, on passe à Revigny qui est presque tout démoli depuis la bataille de la Marne où le 58iéme en 1914 chassa les boches. On va cantonner à Charmont. Là on s’attend à partir d’un moment à l’autre.



Le 17 juin, un avion français est forcé d’atterrir dans un champ labouré à cause d’une panne de moteur.
Le 19 juin au matin, on quitte Charmont pour aller prendre des autos à un kilomètre du village et nous transportent au camp B près de Nixéville, en passant par Revigny et Bar-le-Duc. On arrive au camp, il est encore jour, la compagnie est logé, moitié dans un baraquement, moitié dehors sous des toiles. Moi, j’ai la chance de loger dans un baraquement en planche. Près de nous, il y a un camp de prisonniers boches qui travaillent à arracher des pierres.
Le 20 juin au matin, on va rendre visite aux prisonniers qui travaillent à 200 mètres de notre camp.
Le 21, tout en allant regarder les prisonniers, on cherche des fraises dans le bois que l’on mange avec un peu de vin et du sucre que l’on touche de l’ordinaire.
Le 22 juin, malgré que l’on soit proche de l’enfer, on va faire un peu d’exercice.
Le 23 juin, même chose, mais le soir, on quitte le camp pour aller occuper les tranchées devant Verdun, sur la rive droite de la Meuse. C’est 6 heures du soir qu’on quitte le camp. On passe presque la moitié du chemin dans les bois, puis au village de Baleycourt et Thierville sur Meuse. On passe la Meuse et le canal sur un pont en planche, construit par le géni près du pont de Belleville. On suit le canal sur un kilomètre de bras, puis on passe à travers les champs. À minuit, on arrive dans un boyau de la redoute " MF1 " où l’on s’arrête pour passer le restant de la nuit et du jour du 24 juin, fête de la Saint Jean. Voilà deux ans que ce jour-là, je suis toujours aux tranchées. Le canon tonne avec violence, mais on ne reçoit aucun obus. Quand la nuit arrive, un agent de liaison fait passer l’ordre de monter les sacs, car la compagnie va en garnison dans deux forts : un peloton dans le fort Saint Michel et l’autre peloton dans le fort de Froide Terre. À 10 heures du soir, la compagnie part, moi je reste pour toucher l’ordinaire et la soupe. C’est à minuit que l’on touche tout cela, sur la route de Bras à Belleville. Une fois qu’on a touché tout le pain, on va se rassembler à la redoute " MF1" pour attendre un agent de liaison, pour nous conduire au fort de Froideterre où notre peloton se trouve.



C’est le 25 juin, le jour commence à apparaître, l’agent de liaison arrive : on part de suite car en ce moment, c’est un peu calme. Mais en passant devant les batteries, un obus tombe à nos côtés blessant l’agent de liaison. Quoi faire, personne ne sait le chemin. On demande où se trouve ce fort mais personne ne peut nous renseigner. On marche toujours, mais on se perd dans les boyaux. On trouve un petit trou, on s’y arrête pour se reposer et manger un morceau de pain. On s’embête, on monte à la redoute " MF3 " pour être un peu plus à l’abri. Chacun prend la résolution de ne pas partir jusqu'à ce qu’un homme ou un gradé vienne nous chercher et qu’il sache bien le chemin. Mon sergent aussi est perdu. Après s’être renseigné dans la redoute, il part pour trouver le fort et pouvoir dire au lieutenant que l’on est à la redoute " MF3 ". Il a de la chance de le trouver. Il commence à faire nuit, on aperçoit un agent de liaison qui vient nous chercher. Mais avant de partir, il nous dit " courage, le chemin est mauvais ". On se met en route, on suit une petite voie ferrée pendant 200 mètres, puis on passe à travers un champ de blé. On aperçoit un vaste terrain bouleversé par les obus qui nous donne déjà de mauvaises idées. On s’engage dans ce terrain qui nous fait peur à traverser, en voyant la terre si remuée. Les trous de marmites se touchent et sont profonds de 5 à 6 mètres : si on fait un faux-pas, on y roule dedans et pour en sortir, on a du travail car ils sont à moitié remplis d’eau et de boue. En un moment donné, c’est une chose épouvantable que personne ne peu croire s’il ne l’a pas vu de ses propres yeux. En nous-même, chacun se disait : on va droit au chemin de la mort. Après 16 minutes de marche à travers ce terrain d’enfer, on commence à apercevoir la grille qui entoure le fort. On la suit pendant 50 mètres. On est fatigué à cause du sac, du fusil et deux marmites contenant des repas, une à chaque main. On s’engage dans la cour du fort qui est bouleversé de la même manière. L’agent de liaison nous dit : " c’est là le plus mauvais, qu’il faut en mettre et que chacun emploi sa volonté ". On voit les murs du fort qui sont en ruine, à moitié démolis par le bombardement. Le fort ne forme qu’un amas de ruines. Enfin, on arrive à une porte d’entrée du fort qui est presque totalement bouchée avec des sacs de terre. Il y a une étroite ouverture où l’on rentre. Chacun est heureux de trouver asile pour se mettre à l’abri. Chacun va avec son escouade, moi je rentre dans la troisième casemate. Le plafond est ébranlé ainsi que le couloir du fort. À un endroit, le couloir est percé par un obus de 305. Je me couche car le sommeil et la fatigue me gagne. La journée du 25 juin, je m’en rappellerai toute ma vie. C’est le jour où j’ai le plus souffert depuis que je suis en campagne, car on souffrait surtout moralement : "ce jour-là, j’aurais donné ma vie pour quatre sous espagnols".
Le 26 juin au matin, je me réveille tranquille, je prends le café. Le soir, on va chercher l’ordinaire et du matériel à la redoute " MF3 ". On a fait ce travail pendant 22 jours, sans avoir un seul blessé, car on choisissait le moment où ils ne bombardaient pas trop. Mais ces derniers temps, les corvées étaient moins pénibles parce que l’on avait construit un petit chantier. À force d’utiliser ce moyen, les corvées étaient terminées en 10 minutes. Pendant le jour, on travaillait à remplir des sacs de terre. Le génie faisait des abris souterrains sous le fort ; les sacs de terre servaient de pare-éclats dans le couloir du fort. Le fort était défendu par six mitrailleuses.

juillet 1916

Le 14 juillet, malgré que l’on soit dans la fournée, on touche à l’ordinaire une bouteille de champagne à quatre avec une cigare. Dans le fort, on n’est pas mal, on mangent la soupe chaude soir et midi car ceux qui sont en premières lignes, la mangent froide et une fois toutes les vingt quatre heures. Ce qui nous faisait le plus la guerre, c’était les poux qui courraient sur nos crânes.
Le 17 juillet, au soir, on est relevé par le 240iéme. Il est minuit, la relève arrive, on met sac au dos, puis on sort du fort. On passe en vitesse la cour du fort qui est l'endroit le plus dangereux, puis on traverse ce terrain d’enfer le plus vite possible car en ce moment, les boches sont tranquilles. Pendant la marche à travers ce terrain, on trouve un obus de 210 non éclaté. Chacun l’admire par sa beauté. Puis on passe à " MF2 " en prenant un boyau qui est assez profond et qui nous conduit à la tranchée où nous devons aller. En passant par la tranchée bétonnée, on arrive à la tranchée de Lens.
Le 18 juillet, au matin, cette tranchée se trouve à côté de la ferme de la Folie et l’on peut apercevoir le malheureux village de Bras sur Meuse qui est à peine à 800 mètres de nous. Il y a encore quelques maisons debout, mais tout le restant est rasé à ras du sol. Avec quel plaisir, les pauvres paysans de ce village reviendront ils dans leur pays natal, une fois la guerre finie ? À six heures du soir, on nous fait monter le sac pour aller renforcer à Fleury. Mais au bout d’un moment, il y a un contre-ordre, on passe une nuit tranquille.
Le 19 juillet au soir, on va en deuxième ligne remplacer la 6iéme compagnie aux carrières de Douaumont, où l’on est logé dans un boyau. Mais chacun à son trou de renard pour se reposer durant la nuit. On passe la journée du 29 juillet tranquille.
Le 21 juillet, le capitaine va reconnaître les tranchées des premières lignes.
Le 22 juillet au soir, on quitte le boyau pour aller relever la 10iéme compagnie en première ligne, à la tranchée des Caurettes au bois de Douaumont, en face Louvemont. La relève se fait merveilleusement bien.



Le 23 juillet au matin, les boches nous bombardent. On a un mort à la compagnie, à 10 mètres de moi.
Le 24 juillet au soir, je vais chercher la soupe à la ferme de la Folie à 4 kilomètres des premières lignes.
Le 26 juillet, la journée est calme et le soir on va chercher de l’eau à la Côte du Poivre.
Le 27 juillet, un petit bombardement sur notre tranchée.
Le 28 juillet, la journée est calme, mais le soir notre artillerie envoi des obus renfermant du gaz. Le vent nous en apporte un peu dans nos tranchées.
Le 29 juillet, bombardement des tranchées boches de la Côte du Poivre par notre artillerie lourde. Le soir je vais chercher la soupe à la ferme de la Folie, un avion français mitraille un avion boche et le force à atterrir dans ses lignes.
Le 31 juillet, bombardement par notre 155iéme sur les tranchées ennemies de la Côte du Poivre.

août 1916

Le 1er août à 5 heures du matin, nous attaquons à gauche de Thiaumont.
Le 2 août, le 61iéme attaque sur les pentes gauches de la Côte du Poivre où l’on prend une tranchée et l'on fait des prisonniers.
Le 3 août, la matinée est un peu mouvementée du côté de Thiaumont, on reprend la redoute.
Le 4 août, journée calme, pendant le jour, on regarde les boches se promener et transporter les blessés du côté du fort Douaumont.
Le 5 août au soir, je suis aller chercher la soupe.
Le 6 août, journée calme
Le 7 août, le bombardement commence à être un peu plus violent que d’habitude.
Le 8 août, mauvaise matinée, grand bombardement à Thiaumont. La redoute est perdue puis reprise trois fois dans la journée. Un avion boche est abattu dans ses lignes près du fort de Douaumont et il est tombé en flammes.
Le 9 août, toute la journée a été calme.



Le 10 août, attaque à la grenade à Thiaumont ; bombardement pendant toute la journée sur notre tranchée de réserve.
Le 11 août, journée calme. Le soir, je suis aller chercher la soupe près de la ferme de la Folie.
Le 12 août, journée calme. Des bruits courent que l’on va être relevé dans peu de jours.
Le 13 août, première journée où l’on a la pluie depuis que l’on est en ligne.
Le 14 août, les boches pour la première fois nous lancent des torpilles, mais elle tombent loin de nous.
Le 15 août, journée calme. Le capitaine passe l'ordre aux chefs de section de faire l’inventaire du matériel et des outils, parce que l’on est relevé demain soir.
Le 16 août, on trouve la journée longue, on attend avec patience la relève, chaque minute est pour nous un siècle. C’est à une heure du matin que la relève arrive. On est relevé par le 11ième d’infanterie, on part de suite, pour que le jour ne nous trouve pas en route. Pour aller plus vite et pour ne pas se fatiguer autant, on ne passe pas dans les boyaux, on passe à découvert. Tout le monde est content d’être relevé, on ne trouve pas le sac lourd, personne ce jour-là ne faisait passer aussi vite, chacun y mettait de la bonne volonté. On traverse des champs de blé qui commencent à être mûr. Ca nous fait mal au cœur de le voir périr sous nos pieds alors que les paysans ont pris tant de peine à le semer. On suit le canal de la Meuse jusqu’au pont de Belleville où l’on arrive à 3 heures du matin. On fait une halte sur la rive gauche de la Meuse. On se sent déjà un peu plus en sécurité des obus car on commence à être loin des lignes. Chacun commence à parler à son goût. On repart au bout du moment, on passe à Thierville, à Baleycourt, on arrive au camp de Nixéville à 9 heures du matin. La compagnie est logée, moitié dans un baraquement, l’autre moitié dehors. Ils doivent monter les toiles de tentes. Personne n’a envie de manger à cause de la fatigue, et puis on n’avait rien touché depuis 34 heures. C’est malheureux pour le type qui ne reçoit pas des colis de sa maison : il a le temps de serrer la ceinture de plusieurs crans. Le soir on monte les toiles de tentes avec les fusils et les baïonnettes. La nuit arrive, il fait un orage, il pleut, l’eau traverse les toiles, mais on s’endort quand même, car le repos nous fait besoin.
Le 18 août, au matin, on monte le sac pour aller s’embarquer en autos à la fourche du chemin de Nixéville au moulin Brûlé. À 2 heures du soir, on prend les autos qui se mettent en route. Au bout d’une demi-heure, pendant le trajet, on traverse Bar le Duc, puis on débarque à 200 mètres du village de Ancerville qui est important, près de St Dizier. C’est 7 heures du soir, il nous tarde d’arriver dans un cantonnement pour pouvoir se reposer tranquillement cette nuit et puis ne plus entendre le bourdonnement des obus.
Le 19 août au matin, on visite le village qui ressemble à une petite ville. Il se trouve à 5 kilomètres de Saint Didier. On a repos.
Le 21 août, on a aussi repos et l'on nous change tous les vieux effets. On ressemble à des bleus. On nous lit sur le rapport que la 4ième compagnie est dissoute.
Le 22 août au soir, le capitaine rassemble la compagnie pour nous dire à chacun à quelle compagnie est affecté le bataillon ; moi, je suis affecté à la 2ième compagnie, à la 11ième escouade. Chacun a de la peine de quitter ses vieux copains.
Le 23 août au matin, on quitte Anserville pour aller avec le train à Eurville-Bienville. On rentre sur le quai pour s'embarquer à 9 heures. Le train se met en route, on passe à Saint Dizier, Vitry-le-François, Epernay. On débarque à la petite gare de Mezy pour aller cantonner à Mont-Saint-Père qui est perché au sommet d'une montagne.
Le 24 août à 6 heures du matin, on quitte Mont-Saint-Pére. On suit pendant plusieurs kilomètres le canal de la Marne, on va cantonner à Cierges car on a repos.



Le 25 août, la compagnie reçoit un renfort de la classe 1916 du 46ième d'infanterie.
Le 26 août, on quitte Cierge à 5 heures du soir pour aller prendre les autos sur la route de Fère en Tardenois. Les autos nous transportent à 4 kilomètres de Soissons dans le petit village de Rozières sur crise.












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